3 mai 2023 3 03 /05 /mai /2023 07:07

 

La conversation face au couple infernal des tics de langage et du recul de la simplicité !

Pas de coquetier...?

Parmi les tics de langage à la mode, il y en a un qui me fait rire. Dans un premier temps seulement…

Dans une discussion, quelqu’un donne son point de vue ou son sentiment. Il est soudain coupé par un autre qui, avec gravité, lui assène : « c’est plus compliqué que ça… ! »

Le premier pensait de bonne foi éclairer, compléter, enrichir la discussion, voire qui sait, élever le genre humain en le faisant échapper au café du commerce… Or là, patatras, en cinq sec, le second le rabaisse au rang des indigents de la pensée !

Heureusement, ce maître de la complexité va lui expliquer ce qu’il n’a pas bien compris. Bon, là, pas trop d’illusions à avoir car derrière cette grave sentence, ce qui va lui être servi est, en général, un plat de nouilles improvisé qui le laissera sur sa faim.

Ces tics de langage, en général suffisants et dérisoires, sont aujourd’hui si fréquents dans les discussions et surtout dans les débats des medias qu’on a raison de s’en inquiéter.

Que faut-il y voir ? Pas autre chose que le symptôme d’un manque cruel de maîtrise de l’art de la conversation dont la vocation première est d’en assurer le flux vertueux. Au lieu de quoi, nous produisons des tensions que l’on ne sait plus freiner et qui finissent par bloquer toute discussion.

Et puis dans cet exemple particulier, nous devrions nous interroger sur ce que cache ce graal affiché de la complexité qui, seul, conduirait à la vérité. De même, sur ce que cache cette défiance de la simplicité qui n’engendrerait que l’erreur.

Derrière ce voile, il n’y a pas seulement une fracture de plus en plus grande entre ceux qui savent ou croient savoir et la masse des ignorants qui n’auraient d’autre recours que leur bon sens. Il y a surtout une volonté de déconsidérer, avec désinvolture, l’esprit de simplicité qui, pourtant, cherche à rendre les choses plus claires et plus compréhensibles.

Nous savons grâce à Paul Nizan que « l’erreur est toujours moins simple que le vrai ».* Aussi, dans ce siècle de complexité sans mesure, il me semble urgent de réintégrer cette idée dans nos manières de converser. Simple à réaliser ? Pas sûr…

Yves Maire du Poset

*Aden Arabie

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20 mars 2023 1 20 /03 /mars /2023 09:44

 

De l’intérêt de relire pour ouvrir de nouveaux horizons…*

Un ami me fait remarquer que dans « Le loup » de Jean-Marc Rochette, cette belle bande dessinée dont je me suis servi pour mes vœux en janvier 2023, il y a une deuxième histoire.

Intrigué, j’ai relu ce récit d’une guerre classique mais surprenante entre un loup et un berger, qui se termine par une paix ardemment conquise et sans doute improbable : c’est la première histoire.

Cet ami a raison, il y en a une deuxième et même d’autres – qui ont trait aux aspects économiques, historiques et anthropologiques –  des histoires développées dans la postface écrite par Baptiste Morizot. Je rappelle qu’il est un philosophe ayant un attrait fort pour le monde du vivant.

Sous des angles différents cette postface raconte la distance que la modernité a installée entre le loup et le berger et en évoque les désastreuses conséquences.   

Un exemple : cette guerre ancestrale entre le loup et le berger a toujours existé. Mais ce qui la rend aujourd’hui particulièrement anxiogène pour le berger, c’est qu’il ne sait plus gérer ses relations avec le loup. Il s’est en effet habitué à sa longue absence. Et, en couvant par trop ses brebis, il les a rendues peu habiles à résister, non seulement au loup mais aux dangers de la montagne. Elles n’ont plus la résistance de leurs ancêtres, les mouflons sauvages qui savaient se mouvoir sur des lieux accidentés. Par conséquent, elles sont devenues des proies faciles.

C’est l’un des thèmes soulevés par cette deuxième lecture qui dit clairement qu’avec le vivant, il ne peut y avoir de perdants et de gagnants sur un même territoire ; seul l’équilibre des intérêts de tous compte et le partager doit être une priorité. Il s’agit, nous rappelle Baptiste Morizot, d’enterrer les relations belliqueuses, d’oser ouvrir une ère de relations nouvelles, quitte à « bricoler des formes étranges de réciprocité et de cohabitation, des pactes concrets, qu’il faut inventer, expérimenter, jusqu’à ce que ça marche. »

Aussi, à l’heure où tant de menaces guerrières et environnementales nous guettent, ne devrions-nous pas nous inspirer d’un tel exemple ? Comme le monde du vivant l’exige, n’est-il pas temps de mobiliser notre imagination et nos capacités d’invention pour retisser des liens nouveaux capables de calmer les conflits ?

Mais une question se pose : sommes-nous suffisamment équipés pour relever un tel défi ? L’actualité démontre, hélas tous les jours, que tel n’est pas le cas…

Yves Maire du Poset

* un jour, un jour, c'est sûr, j’écrirai un papier sur les mille bonheurs de la relecture…

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9 février 2023 4 09 /02 /février /2023 16:48

Réforme des retraites, suite…

 

La crainte majeure de ceux qui s’accrochent à cette réforme est  l’évolution de l’espérance de vie et, bien sûr, la question de son financement.

A l’époque de l’après-guerre, le système par répartition permettait, grâce aux actifs nombreux, de financer la retraite d’inactifs peu nombreux.

Mais nous vivons aujourd’hui plus longtemps. Ainsi, en imaginant que cette espérance de vie franchisse un jour les 100 ans…, nous risquons, en théorie, de nous retrouver en difficulté pour garantir une vieillesse heureuse à nos aînés. Et, si l’on poussait plus loin le bouchon, qu’en serait-il si nous ne mourrions plus… ? Y avez-vous songé ? Pour ce faire, je vous recommande la lecture du roman « Les intermittences de la mort » de José Saramago qui évoque un pays où l’on ne meurt plus. Au début, tout le monde se réjouit mais au bout de quelque temps, les conséquences sont telles que la raison reprend sa place : il vaut mieux se remettre à mourir… ! Un roman délicieux, désopilant et profond !

Bon, je vous égare (enfin, pas tant que ça...) ; aussi, je reviens à mon sujet : commençons par reconnaître que depuis 70 ans, nous sommes passés sans encombre de 4 actifs pour 1 inactif au lendemain de la guerre, à 1,7 actif pour 1 inactif aujourd’hui. Nous avons en effet cotisé plus afin de maintenir cet esprit de solidarité qu’exige la répartition. Ensuite, ajoutons que notre richesse s’est accrue : entre 1975 et 2021, le PIB a été multiplié par 10 et les cotisations sociales ont suivi.

C’est pourquoi, aujourd’hui, le fait de passer dans les années à venir à 1,2 actif pour 1 inactif, n’oblige nullement à en faire tout un plat.

Pourtant, nous dit-on, il faudrait impérativement faire l’effort de travailler plus longtemps, la quantité de travail fourni par chacun étant LE paramètre à considérer.

En apparence, un tel raisonnement semble logique. Mais il omet toutefois un élément majeur de la problématique : l’effacement global du travail humain depuis des décennies au profit de celui de la machine qui, elle, ne cotise pas...

 

L’effacement du travail humain au profit de celui de la machine…

Cet effacement, avec ses hordes de chômeurs, est bien la cause principale du déséquilibre du système par répartition.

« Mais Yves, « n’entends-tu pas que le chômage est au plus bas… ? Ah bon ? Dans ce cas, rafraîchissons-nous la mémoire… »

Pour me faire comprendre, voici quelques chiffres : en 1975, au moment où j’ai commencé à travailler, il y avait en France 670 000 chômeurs, soit 2,9 % de la population active. En 2021, il y a 2 500 000 chômeurs, soit 9, 5 % de la population active (en catégorie A, c’est-à-dire les demandeurs d’emploi sans emploi, qui n’ont pas du tout travaillé dans le mois précédent et qui sont tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi). Et, si l’on ajoute les 4 autres catégories (B,C,D,E) incroyablement déconsidérées à tel point qu’on oublie qu’il s’agit tout de même de chômeurs, on arrive à un chiffre proche de 6 millions de chômeurs (tous ceux inscrits à Pôle emploi).

Entre ces deux périodes, 1975 et aujourd’hui, que voit-on ? La population active a augmenté de 30 % et celle des chômeurs de 273 % (catégorie A) ; et de 790 % si l’on considère les 5 catégories confondues. Un chiffre auquel il conviendrait de rajouter tous les radiés récents estimés à 500 000 en 2022 et puis tous ceux qui, pour nombre de raisons dont tout le monde se fiche, sont sortis des radars statistiques.

De cette réalité, personne ne parle vraiment et les medias continuent de chanter à tue-tête que le chômage baisse (la catégorie A passant de 9 points à 8 ou 7 points, voire même à 6 points…). La vérité qui exige d’inclure tous les chômeurs est plutôt cauchemardesque : il y a en France 25 à 30 % de chômeurs !

Ce chiffre ne tombe pas du ciel. Il est le résultat d’un choix politique et économique qui a renoncé au travail humain, trouvant sans doute que la machine est plus efficace et plus facile à gérer (en d’autres termes, moins enquiquinante).

Le cotisant se faisant plus rare, nous avons donc affaire, aujourd’hui, à un problème, non de dépenses écrasantes à venir mais de recettes qui, pour une grande partie, ont disparu au fil du temps.

Politique de désindustrialisation, d’automatisation aveugle, de numérisation obsessionnelle, notamment des liens humains dont chacun commence (?) à en apprécier les méfaits (surtout là où la relation commerciale ou administrative est très utile, voire fructueuse sur le plan du simple « business », ce qui est un comble…). Bref, tout ceci a produit un « stock » de non cotisants, de fainéants diront même certains…

Question : et si on remettait tout ce petit monde au travail ? Un million d’entre eux suffirait amplement à remplir toutes les caisses de la Sécurité Sociale. Comment ? Par exemple en empruntant avec conviction et fermeté la voie de la transition écologique !

 

Une idée, parmi d’autres pour créer des emplois utiles

Voici donc une idée parmi d’autres pour répondre plus intelligemment à nos besoins les plus élémentaires : ne pensez-vous pas qu’il serait utile de remettre au goût du jour le travail de la main au lieu de celui, systématique mais inconséquent, de la machine, polluante, bruyante et si peu efficace, pour couper les arbres, tailler les haies, ramasser les feuilles, planter… Quand je vois ces employés communaux casqués s’acharner des jours entiers sur les feuilles avec d’infernales machines à souffler, je me demande toujours comment nous en sommes arrivés à tant de stupidité.

« Mais enfin, Yves, ta remarque est bien ringarde, de tels travaux ne peuvent pas intéresser les gens, ça coûterait beaucoup trop cher et puis, c’est anecdotique… Ah bon ? Le techno-futur, vous êtes sûr que c’est mieux ? Le travail bien fait, vous savez, celui qui demande du temps, de l’observation, de l’expérience et beaucoup de subtilité dans le doigté…, ce n’est pas assez digne pour les gens ? Et avoir des cotisants en plus, ce ne serait pas moins coûteux que d’indemniser des chômeurs tristes et isolés… ? Et puis 36 000 communes avec 3 employés en plus en moyenne pour œuvrer avec leurs muscles et leur intelligence dans les jardins municipaux, mais aussi pour créer des potagers afin de s’autoalimenter localement ; avec un maraîchage produit dans l’esprit de la permaculture, vous savez, cette manière de cultiver qui, avant tout, prend soin de la terre… Allez, à la louche, ça fait 100 000 emplois… vous trouvez que c’est anecdotique… ? »

« Oui mais Yves, tu vas créer des chômeurs parmi ceux qui fabriquent les machines à souffler les feuilles… Certes, hé bien ils n’auront qu’à aller s’inscrire à Pôle emploi Pékin ou Shanghaï ! »

Une évidence éclate : la Politique, assommée par le « tout techno-capitaliste », est à cours d’idées. Elle est comme privée de capacité de réflexion. La menace environnementale en est la preuve : des poules qui ont trouvé un couteau !

Voyez le cas des retraites : ce ne sont pas les dépenses à venir qui devraient nous faire peur, c’est plutôt le tarissement des recettes dues à la disqualification du travail humain qui, in fine, aboutit à son évincement. Franchement, avec tant d’exclus, comment voulez-vous que ça marche ? Comment voulez-vous que quelque équilibre social se fasse ?

De même, et c’est une autre option pour accroître les cotisations sociales, il conviendrait de réfléchir plus sérieusement à une véritable contribution à la valeur ajoutée produite par le travail effectuée par la machine, comme complément nécessaire de cotisation au régime de Sécurité Sociale. Quand dans votre supermarché, deux caissières sont supprimées et remplacées par des machines à encaisser, n’est-il pas normal de « faire cotiser » ces machines pour la retraite de ces caissières devenues chômeuses (ne serait-ce d’ailleurs que pour contribuer aux ressources de Pôle emploi qui devra les indemniser…) ?

Bref, en attendant que le nombre de chômeurs recule, taxons davantage la richesse produite par ce qui a remplacé le travail humain. Mais hélas, à l’heure où le gouvernement s’apprête à supprimer la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), autant faire l’escalade d’un mur sans aspérité et amplement savonné…

 

En conclusion…

« Une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale. » C’est ce que rappelle avec force Alain Supiot dans nombre de ses livres : tel est en effet le principe qui animait les déclarations solennelles des après-guerres, celle de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en 1919 et la Déclaration de Philadelphie en 1944. Toutes affirmaient la primauté de l’idée de justice sociale et de l’esprit de solidarité qu’elle engendre. Toutes ces déclarations avaient pour but de protéger le travail humain en le mettant à distance de l’emprise du marché.

Et contrairement à ce que l’on entend sur les ondes, ces déclarations solennelles ne rejetaient aucunement le marché mais aspiraient plutôt à un juste équilibre entre la liberté d’entreprendre et la préservation de l’humain dans le travail. Ce n’est pas pour rien que ce principe a été repris dans la constitution de nombre de pays au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Dans cette affaire des retraites comme dans toutes ces tentatives de revenir sur ces « conquis » sociaux, il y a une menace qui ressemble fort à celle de l’après-guerre : à l’époque, le contexte dictait le nécessaire retissage des liens entre les Français, les générations, les classes sociales, les familles même...

Aujourd’hui, face aux extravagances techniques qui numérisent tout ce qui bouge en se fichant éperdument des liens humains qui se défont inexorablement, ne sommes-nous pas dans une situation comparable ? N’est-il pas temps de se remettre à réfléchir autrement, en réintégrant le travail humain et l’esprit de solidarité qu’il contient, au cœur même de la vertu républicaine ?

Yves Maire du Poset

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17 janvier 2023 2 17 /01 /janvier /2023 15:55

Cette réforme est dangereuse car elle ne répond pas aux vrais enjeux, ceux du long terme ; elle n’est pas non plus nécessaire car la situation financière n’est nullement catastrophique.

Une réforme qui ne répond pas aux vrais enjeux

Le danger d’une telle réforme est qu’elle va fragmenter un peu plus non seulement la famille mais la société dans son ensemble, sans jamais prendre en compte le contexte politique et « civilisationnel » qui est le nôtre.  Voici pourquoi :

1 La réforme va frapper en particulier les sexagénaires qui ont à la fois besoin de temps pour s’occuper de leurs parents âgés et de disponibilité pour accueillir leurs petits-enfants. Si on les oblige à travailler plus longtemps, comment feront-ils ? Faut-il vraiment réduire encore nos liens familiaux et inciter ces sexagénaires à choisir plus rapidement l’EHPAD pour leurs parents et à renoncer à leur devoir de grands-parents ? Nos politiques n’ont visiblement pas intégré les conséquences de tels changements. A tel point qu’on se demande à partir de quelle réalité humaine ils prennent leurs décisions ? Que font-ils du temps des retraités consacré à la garde de leurs petits-enfants, soit près de 100 millions d’heures par mois ?  Un chiffre auquel il faudrait ajouter le temps consacré à leurs vieux parents.

Allons-nous prêter une fois de plus le flanc à l’accélération de l’effritement de la famille, sans cesse pétrie par une machine économique qui n’en a que faire ?

2 Cette réforme va frapper de plein fouet les femmes. Ce point est très peu évoqué dans les medias. Voici un exemple :

  • Aujourd’hui, une femme née en 1968, qui a commencé à travailler à 23 ans et qui a élevé 2 enfants aura totalisé les 170 trimestres nécessaires pour partir avec une retraite à taux plein à l’âge de 61 ans et 6 mois (154 trimestres cotisés + 16 trimestres pour enfants). Elle devra cependant attendre 62 ans, l’âge légal pour demander sa retraite, soit travailler 6 mois de plus.
  • Avec la réforme prévue, cette même femme aura totalisé les 172 trimestres nécessaires pour partir avec une retraite à taux plein à l’âge de 62 ans (156 trimestres cotisés + 16 trimestres pour enfants). Mais elle devra attendre l’âge de 64 ans pour partir à la retraite. Il lui faudra donc travailler 2 années de plus.

Précisons qu’une femme, avec de semblables paramètres, ayant commencé à travailler plus tôt que dans cet exemple ci-dessus, et/ou ayant élevé plus que 2 enfants sera encore davantage pénalisée.

En fait, cette réforme est un véritable tour de passe-passe consistant à reprendre aux femmes ayant élevé des enfants une partie, voire la totalité des trimestres qui leur sont attribués pour cette raison. Rappelons que cette majoration dite « Maternité/Education » est une juste compensation faite aux femmes qui assurent en très grande partie la survie du système. Car est-il besoin de le rappeler, ce sont les femmes qui non seulement « font » les cotisants futurs mais qui, principalement, les torchent, les nourrissent, les éduquent… bref les élèvent jusqu’à l’âge adulte où le relais sera pris par ces nouveaux cotisants… !

Cet acharnement à scier la branche sur laquelle nous sommes assis serait presque comique s’il n’y avait pas derrière tout cela un aveuglement tragique.

Avec cette réforme, une chose est certaine : nous sommes gouvernés par des hommes peu concernés par le sort des femmes et des familles. Elle porte décidément un cynisme ahurissant.

3 Il faut dire aussi que maintenir un peu plus les sexagénaires « au boulot » va toucher un pan important de l’activité économique : le monde associatif. Faute de combattants (s’ils sont maintenus au travail), comment ce monde fera-t-il pour trouver les siens dont le vertueux bénévolat apporte tant de solutions à une société qui ne comptabilise jamais ses bienfaits ? Nos politiques n’ont visiblement pas intégré le nombre de retraités engagés dans ce monde associatif, estimé à l’équivalent de 100 000 emplois.

La réalité sociétale n’est décidément pas prise en compte. Est-ce une faiblesse d’analyse de nos décideurs ou la mauvaise intention d’alimenter le secteur privé qui se lèche les babines chaque fois que le secteur public est réduit, chaque fois qu’on atrophie les liens et les services gratuits ? Peut-être les deux… ?

Une situation qui, financièrement, n’est pas catastrophique  

4 Les aspects financiers, pour peu qu’on s’y penche avec attention, montrent qu’il s’agit d’un sujet qui n’appelle pas de réforme mais plutôt des ajustements.

Les déficits à venir sont temporaires ; il s’agit des 15/20 prochaines années dit le COR (Conseil d’Orientation des Retraites). De plus, ils sont minimes comparés à la masse des pensions versées : environ 3 à 5 %. Or pour combler ces déficits, un faible supplément de cotisations suffit, surtout s’il est étendu au-delà des seuls actifs : par exemple, on pourrait associer les entreprises avec une infime partie de la richesse produite grâce aux gains de productivité. C'est après tout un juste retour de la mécanisation qui fait disparaître l’humain dans l’entreprise comme dans l’administration.

En vérité, seule la pression des paramètres de l’Union Européenne nous impose une telle réforme. Mais que sont-ils, ces paramètres, pour nous dire quel modèle la France doit promouvoir ? Ne devrions-nous pas plutôt être fiers d’un taux/PIB de 14% consacré à nos aînés ? Il ne faut jamais oublier qu’il s’agit de nos cotisations et que, contrairement à l’idée serinée par les medias selon laquelle nous devrions avoir honte en nous comparant aux autres, nous avons un système de retraites exemplaire. Du moins l’a-t-il été et l’est-il encore ; mais… demain ?

Etranges dilemmes politiques décidément entre une soi-disant raison économique et la réalité des situations…

Pour ma part, je ne vois dans une telle réforme des retraites que l’obstination de « chiffreux » qui agissent comme de bons soldats sans se rendre compte des réalités. Un peu comme des enfants contrariés que la colère rend aveugles et qui piétinent de rage… !

Jeudi, je ne serai pas libre à partir de 14h.

Yves Maire du Poset

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1 janvier 2023 7 01 /01 /janvier /2023 09:30

Avez-vous lu la bande dessinée, « Le Loup », de Jean-Marc Rochette ?* 

Le Loup de Jean-Marc Rochette, Casterman

Je l’ai beaucoup aimée et souhaite vous en parler à l’occasion de cette nouvelle année 2023.

Car l’histoire est belle et utile : une guerre millénaire entre le berger et le loup qui se termine par la paix. Improbable diront les incrédules patentés mais enfin, il s’agit d’une histoire…

Et puis la très belle postface du philosophe Baptiste Morizot les fera déchanter : l’histoire est sérieuse.

Elle est racontée avec un dessin et un texte forts. L’un et l’autre sont austères comme le massif des Ecrins où l’histoire se situe mais ils sont éclatants et sans gras comme la poésie l’exige. Ils ne pointent que l’essentiel de ce combat si cruel mais également si tendre.

Et puis cette histoire est une leçon pour notre modernité parfois bête à pleurer : il n’y a de guerre que là où la relation a perdu pied. Quand la volonté de retisser des liens repart, l’horizon s’éclaircit et l’espoir d’obtenir la paix renaît. Il n’y a décidément pas d’autre voie que celle de l’échange.

C’est ce que nous raconte cette histoire du berger et du loup où il n’est pas question d’amour mais de combat pour la paix, juste pour la paix.

En somme, une histoire pour les petits et les grands à l'aube de cette nouvelle année !

Bonne année à tous, Yves (06 70 26 81 55)

PS : mon mail a changé, voici le nouveau : yves.maireduposet@posteo.net

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16 novembre 2022 3 16 /11 /novembre /2022 09:50

Nous paraissons si démunis face aux choix stratégiques qu’il est parfois éclairant de lire les grands auteurs. La transition écologique en est un bon exemple.

Balzac nous aide à réfléchir. Peut-être vous souvenez-vous, dans Le père Goriot, de la manière dont s’y prend Bianchon, étudiant en médecine, pour ramener son ami Rastignac à la raison ? Celui-ci est la proie d’une tentation : faire fortune et conquérir ce Paris jouissif qui lui tend les bras mais… en jetant son honneur aux orties ! Devant le crime par lequel il lui faut passer, Rastignac a des scrupules dont il s’ouvre à Bianchon, qui l’écoute et le raisonne : « Moi, je suis heureux de la petite existence que je me créerai en province, où je succéderai tout bêtement à mon père. Les affections de l’homme se satisfont dans le plus petit cercle aussi pleinement que dans une immense circonférence. » Et, plus loin, il ajoute : « Notre bonheur, mon cher, tiendra toujours entre la plante de nos pieds et notre occiput. »

Bianchon fait mesurer à Rastignac le caractère extravagant de ses projets en lui rappelant ce qu’est notre condition humaine : potentiellement puissante mais qui ne saurait, sans risques, se passer de la raison. Belle leçon de maturité qui, pourrait-on dire, ramène Rastignac à hauteur d’homme.

Et si cet exemple nous offrait une clef pour réussir la transition écologique ? Devant le « tout technique » exclusif qui a prévalu pendant deux siècles et dont nous commençons de voir les aléas délirants, une autre partie de notre condition humaine doit impérativement reprendre la place qui lui a été insidieusement dérobée. Je veux parler de cette part de nous-mêmes qui tempère, qui met de la mesure en toute chose, qui veille à ne pas aller au-delà de ce que nous dicte le sens commun, qui cherche, quoi qu’il arrive, à nous maintenir dans le cours de la raison.

Ainsi, Bianchon pourrait nous dire : pendant deux siècles vous avez tout ignoré des méfaits du progrès technico-économique dont les extravagances sont aujourd’hui mises à nu. Non seulement ces méfaits ont produit de terribles menaces pour l’humanité mais en devenant les acteurs aveugles de cette machine marchande irrésistible, vous avez créé un monde déséquilibré, un monde fait de pensées et de liens terriblement appauvris. En vous éloignant des besoins de la vraie vie, n’avez-vous pas perdu la raison ? Le temps n’est-il pas venu de retrouver une partie de vos richesses humaines oubliées ?

Une autre vie ? Bianchon n’aurait pas tort car comme Rastignac face aux mille tentations parisiennes, nous sommes en surchauffe ! Et le pire est que nous  continuons de penser que tout miser sur le progrès technique pour réparer nos extravagances techno-économiques représente la solution à nos malheurs.

Or une autre vie est possible, davantage faite d’équilibre et d’une plus juste mesure dans nos manières de vivre, une vie remplie de mille petits bonheurs humains délaissés : bonheurs manuels, bonheurs culturels et bonheurs relationnels.

En les nommant, ce qui frappe l’esprit est qu’ils sont fort utiles par les temps qui courent : savoir se nourrir en faisant son potager, savoir bâtir sa maison, savoir fabriquer ses vêtements ; savoir réfléchir et concevoir des idées, savoir rêver, créer de la beauté, savoir lire pour mieux comprendre et écrire pour mieux transmettre ; savoir approfondir ses liens avec les siens et les autres, savoir quitter pour un temps l’univers technique qui s’acharne à capter notre attention…

Dès lors, puisque nous commençons de comprendre que continuer « comme avant », en « avançant », en « changeant », en « nous adaptant »… creuse irrémédiablement notre tombe, sachons résister et ré-inclure dans nos réflexions d’autres formes de progrès humains, plus équilibrées et plus ancrées dans la vie.

Il ne s’agit pas d’un retour à l’âge de pierre mais plutôt de tenir compte de notre condition humaine dans son entièreté afin de réussir au mieux la transition écologique. En donnant un sens nouveau au progrès, le progrès technique lui-même, ainsi tempéré, s’en trouvera enrichi et plus utile.

Avec un atout majeur : cette partie de notre humanité possède des horizons infinis et son développement représente un coût carbone proche de zéro !

Yves Maire du Poset, le 16 novembre 2022

 

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28 juillet 2022 4 28 /07 /juillet /2022 16:10

 

L'intégralité d'un entretien passionnant avec Alain Supiot, professeur émérite au Collège de France (paru dans Le Figaro le 22 juillet 2022, entretien mené par Alexandre Devecchio et Martin Bernier dont je salue ici l'ouverture.) 

 

Alain Supiot: «Des urnes au travail, nous assistons à la sécession des gens ordinaires»

GRAND ENTRETIEN - Pour le professeur émérite au Collège de France, l'abstention aux élections législatives et le désinvestissement au travail peuvent s'analyser comme les deux faces d'une même crise nourrie par le sentiment de dépossession des classes moyennes et populaires.

Grand penseur de l'État social reconnu pour ses ouvrages sur le travail et auteur de La Gouvernance par les nombres (Fayard, 2015), Alain Supiot a récemment publié La Justice au travail (Seuil, 2022) et présenté une réédition des Lettres persanes à l'occasion du tricentenaire de l'œuvre de Montesquieu (Points, 2021).

LE FIGARO. - Vous écrivez qu'à la sécession des élites, théorisée par Christopher Lasch répond aujourd'hui une sécession des gens ordinaires. Les dernières élections, législatives, et dans une moindre mesure l'élection présidentielle, confirment-elles votre diagnostic ?

Alain SUPIOT. -Christopher Lasch a été en effet le premier à mettre en lumière ce sentiment de sécession des élites, de perte de tout contrôle démocratique, qui est l'un des ferments de la profonde crise institutionnelle que nous traversons. La France n'y échappe pas, en raison notamment de la place nodale qu'y occupe l'État, objet de toutes les attentes et cible de toutes les critiques. Mais cette crise est à l'œuvre dans beaucoup d'autres pays. Aux États-Unis, elle couvait bien avant l'élection de M. Donald Trump, comme on peut le voir dans Elysium, un film de science-fiction sorti en 2013. Ce «blockbuster» nous transporte au XXIIe siècle.

Les riches ont fait sécession, ils vivent réellement « hors-sol », dans un luxueux satellite, doté d'une médecine incroyable ; là-haut tout est calme, luxe et volupté, tandis que les villes américaines comme Los Angeles sont devenues de vastes bidonvilles, violents et pollués. Comme dans tout bon film américain, un héros solitaire va rétablir la justice. Étant profondément enracinée dans le cœur des hommes, l'aspiration à la justice est toujours et partout au travail dans l'histoire… Dans le subconscient américain que révèle ce film, c'est l'inégalité d'accès au système de soins qui polarise la révolte contre une classe politique qui ne reçoit plus de la Terre que de faibles signaux. C'est un point à méditer à l'heure où notre système de santé est au bord de la rupture et où s'installe à bas bruit une médecine à deux vitesses.

Ayant le sentiment de n'avoir plus aucune prise sur les décisions qui les concernent, les «gens ordinaires», ceux des classes moyennes et populaires, sont en effet enclins à faire à leur tour sécession. S'il fallait dater l'origine de cette désaffection, il faudrait remonter au Traité de Maastricht, adopté par référendum en 1992, avec une forte participation (près de 70% !), mais un score extrêmement serré (51%). Toutefois la rupture intervient quelques années plus tard lorsque la classe dirigeante refuse de s'incliner devant le résultat du référendum sur la Constitution européenne, rejetée en 2005 avec la même forte participation par près de 55% des votants. En 1992 l'État perd la main sur certaines de ses attributions essentielles, notamment budgétaires et monétaires ; après 2005 les Français réalisent qu'ils ont perdu la main sur l'État, dont le destin se décide désormais ailleurs que dans les urnes. Alors même qu'ils avaient pris au sérieux la question qu'on leur posait et passé des heures à en délibérer en famille et dans les lieux publics, lors du dernier grand débat démocratique qu'ait connu notre pays !

En 2012 le président Hollande a fini de discréditer la parole politique, en ratifiant le traité sur la gouvernance monétaire européenne aussitôt après s'être fait élire sur la promesse de ne pas le ratifier. À quoi bon aller voter dès lors que les décisions importantes sont prises hors de portée électorale, à Bruxelles, à Francfort ou à la Cour de Luxembourg ? Cela ne veut pas dire, comme semble le penser le président Macron, que l'Union européenne soit une souveraine en puissance. Du point de vue juridique, il s'agit plutôt d'une suzeraine, dont les États membres sont les vassaux. C'est du reste une constante: la gouvernance par les nombres fait partout ressurgir les liens d'allégeance. Il n'est dès lors pas surprenant – pour reprendre les concepts éclairants d'Albert Hirschman — que les électeurs, notamment les plus jeunes, préfèrent l'exit à une voice devenue inaudible ; autrement dit la défection plutôt que l'expression dans les urnes.

Ce sont les actifs en réalité. Les retraités votent toujours mais les actifs décrochent ou refusent de voter pour les partis installés…

Il faut pour le comprendre se rappeler les liens profonds qui, depuis les origines de la démocratie, unissent représentation politique et représentation théâtrale. Aller au théâtre était du reste une obligation civique dans l'antique démocratie athénienne. Une représentation politique réussie suppose que le public puisse se reconnaître dans les personnages qui sont sur la scène. Sinon, le théâtre dégénère en guignol. Il est alors possible d'en rire et de fait, «Les Guignols de l'info» ont connu un grand succès durant la période que nous venons d'évoquer. Si ce décrochage des acteurs et du public perdure, celui-ci se lasse, siffle ou déserte, à l'exception en effet de vieux abonnés, qui s'accrochent à leur place... L'heure n'est plus alors à la rigolade et d'ailleurs on supprime «Les Guignols».

Cette scène politique ne constitue cependant qu'un aspect de la démocratie, qui possède aussi depuis toujours une dimension économique et sociale. Les premières bases de la démocratie athénienne furent posées par Solon, il y a 2500 ans, pour rétablir la paix civile, menacée par l'accaparement des richesses par un petit nombre de ploutocrates qui réduisaient le grand nombre des Athéniens à l'esclavage ou à l'exil. Il y parvint en allégeant le fardeau de la dette et en reconnaissant à tous ceux qui vivent de leur travail une dignité égale à celle des possédants. Ce lien structurel entre démocratie politique et démocratie économique n'a cessé depuis de se manifester dans l'histoire. Les cités italiennes de la fin du Moyen-Âge ont été fondées sur une «conjuration d'entraide» entre marchands, désireux de se libérer des liens féodaux sans permettre aux plus riches d'entre eux d'accaparer le pouvoir. À l'époque des Lumières, Montesquieu, le théoricien du 'doux commerce', prévient que «pour maintenir l'esprit de commerce, il faut que les lois, divisant les fortunes à mesure que le commerce les grossit, mettent chaque citoyen pauvre dans une assez grande aisance, pour pouvoir travailler comme les autres ; et chaque citoyen riche dans une telle médiocrité qu'il ait besoin de son travail pour conserver ou pour acquérir». Et selon Rousseau, «il importe extrêmement de ne souffrir dans la république aucun financier par état : moins à cause de leurs gains malhonnêtes qu'à cause de leurs principes et de leurs exemples», qui selon lui sont contraires à la vertu civique, c'est-à-dire la capacité de distinguer l'intérêt particulier de l'intérêt public.

Cette dimension économique de la démocratie a ressurgi au XXe siècle, avec le New Deal aux États-Unis, ou avec notre « République sociale », issue du programme du Conseil National de la Résistance et consacrée à la fin de la guerre par le Préambule de la Constitution. En 1936, dans un discours resté fameux, Franklin Delano Roosevelt constate que «la liberté d'une démocratie n'est pas assurée, si le peuple tolère que le pouvoir privé croisse à un point tel qu'il devienne plus fort que l'État démocratique lui-même». De l'histoire récente, il tirait la leçon que le «despotisme économique» faisait le lit du fascisme et que «le gouvernement par l'argent organisé est aussi dangereux que le gouvernement par le crime organisé». Cette prise de conscience a conduit à généraliser après-guerre ce qu'on nomme le «pacte fordiste»: on échange de la subordination au travail contre de la sécurité économique. Vous allez faire un boulot idiot, monter des pièces à la chaîne toute votre vie, mais vous aurez un salaire décent, des congés payés et la sécurité sociale.

Cette réduction de la justice sociale a une question d'avoir, d'échange d'une quantité d'heures de travail décérébré contre une quantité d'argent, a été très tôt critiquée par la philosophe Simone Weil, mais aussi par de Gaulle, qui dénoncera «ceux qui se croient habiles» en limitant la participation des travailleurs à son volet financier, alors qu'il voulait l'étendre à la gestion des entreprises. Il n'a jamais cédé sur cette idée, ce qui le conduira à se retirer de la vie politique après l'échec du référendum organisé en 1969 pour la mettre en œuvre. La dernière tentative d'articuler les dimensions politique et économique de la démocratie date de 1982, avec le projet de citoyenneté dans l'entreprise porté par les réformes Auroux.

À partir des années 1990, la perte de souveraineté monétaire et budgétaire de l'État et la dévitalisation de la démocratie sociale et économique sont allées de pair. La globalisation a mis les entreprises au service de la finance et les États en situation de concurrence fiscale, sociale et écologique. Les actifs — indépendants comme salariés — ont ainsi perdu sur les deux tableaux : ils n'ont plus de prise sur le pouvoir politique, assujetti aux disciplines d'un Marché devenu total ; et pas davantage sur le pouvoir économique qui, émancipé de la tutelle des États, réduit le travail à l'état d'instrument de « création de valeur » pour les actionnaires. Il n'est donc pas surprenant que la sécession des gens ordinaires se fasse sentir sur ces deux tableaux : par l'abstention ou le vote protestataire ; et par le désinvestissement du travail. On nous annonçait à son de trompe que la révolution numérique signait la «fin du travail», mais c'est à la pénurie de «travailleurs essentiels» que nous sommes confrontés aujourd'hui, à commencer par les «premiers de corvée» dont la pandémie a révélé aux « premiers de cordée » qu'on ne pouvait impunément continuer à les mépriser et les sous-payer. On peine à trouver des profs, des infirmières, des serveurs, des chauffeurs routiers... Ce mal frappe les services publics appauvris et désorganisés par des décennies de «réformes structurelles», mais aussi les entreprises, que le Marché total et la financiarisation de l'économie ont profondément détraquées.

En quoi les entreprises sont-elles «détraquées» ?

Karl Polanyi a montré en son temps que le capitalisme reposait sur les fictions du «travail marchandise», de la «terre marchandise» et de la «monnaie marchandise». Le néolibéralisme y a ajouté la fiction de «l'entreprise marchandise». Or l'entreprise est une institution au sens défini par le grand juriste Maurice Hauriou, c'est-à-dire un pouvoir organisé au service d'une œuvre. Cette œuvre peut consister à fabriquer des avions ou des vêtements, financer des investissements, enseigner la jeunesse, assurer la propreté des rues, soigner ou nourrir ses semblables… En toute hypothèse, c'est la réalisation d'une œuvre qui donne sens au travail de chacun, qu'il soit facteur, infirmier, informaticien, menuisier ou banquier.

À partir du moment où vous dites que l'entreprise n'a pas d'autre but que l'enrichissement de ses actionnaires, qu'elle est une machine à sous en concurrence avec d'autres machines à sous, elle est livrée aux forces entropiques de la spéculation financière. Dans les formes les plus extrêmes, cela donne aux États-Unis le scandale du groupe pharmaceutique Turing qui, après avoir racheté le brevet du médicament utilisé pour prévenir et soigner la malaria et la toxoplasmose, en a augmenté le prix de 5000%, pour la plus grande satisfaction de ses actionnaires et le malheur des malades. Ou en France le récent scandale du groupe Orpea, qui n'a pas investi dans les Ephads par souci des personnes âgées dépendantes, mais pour leur faire cracher du cash. Faire de l'argent pour de l'argent ce n'est pas seulement ne rien faire, c'est empêcher de bien faire. Quelques grands patrons français en ont du reste pris conscience et demandé que la «raison d'être» de l'entreprise puisse être inscrite dans ses statuts. Dès lors que le gonflement du bas de bilan remplace le projet d'entreprise et que les indicateurs de Maastricht remplacent le projet politique, une perte généralisée du sens affecte à la fois le politique et l'économique.

Peut-on réellement parler d'injustice sociale dans un pays qui a pratiqué le «quoi qu'il en coûte» et qui, de manière générale, consacre autant d'argent à la dépense publique et à la redistribution ?

Ce débat est parfaitement légitime et mérite d'être posé, mais il faudrait qu'il le soit de façon sérieuse. Une étude comparative très documentée publiée en 2017 par France Stratégie, montre que, je cite : «la France se différencie de ses voisins par une meilleure maîtrise des dépenses de services généraux, qui incluent la charge de la dette, en pourcentage du PIB, mais par une augmentation supérieure à la moyenne concernant les dépenses de protection sociale et les affaires économiques qui incluent certains crédits d'impôt». La chasse obsessionnelle aux fonctionnaires, déjà nettement moins bien payés que leurs homologues étrangers, est l'un des premiers facteurs de dégradation de nos services publics de la santé, de l'éducation ou de la justice. On ouvre ainsi un boulevard au recours à des cabinets conseils, dont le moins qu'on puisse dire est que le rapport qualité/prix n'est pas au rendez-vous. Plutôt que de réduire le nombre de hauts fonctionnaires, une droite ayant encore le sens de l'État leur interdirait ces allers retours avec le privé, qui les exposent aux conflits d'intérêts et gangrènent l'esprit de service public.

Quant à l'augmentation de la dette publique, c'est un fait indéniable, dû largement au choix politique de priver l'État de sa souveraineté monétaire et budgétaire pour l'asservir aux marchés financiers et à la course internationale au moins-disant fiscal. L'idée, serinée elle aussi ad nauseam, qu'on ferait porter cette dette aux générations à naître est erronée: les emprunts publics ont une maturité moyenne de huit à neuf ans, et dans le cas de la dette d'État, on ne la rembourse pas mais on la «roule» ; on refait un nouvel emprunt pour rembourser le précédent. Il en va différemment il est vrai pour la dette de la sécurité sociale, dont Jacques Rigaudiat, conseiller à la Cour des comptes, a montré dans un petit livre solidement argumenté qu'elle était utilisée comme «une arme de dissuasion massive», entretenue délibérément pour maintenir la pression en faveur des «réformes structurelles» de privatisation de l'assurance vieillesse et l'assurance maladie.

L'horizon des réformes de la sécurité sociale est l'ouverture des «marchés» gigantesques des assurances maladie et vieillesse aux investisseurs privés, laissant à l'État la charge d'une protection minimale pour les impécunieux. Dans une telle division du travail entre le marché et l'État, le modèle social français est condamné à disparaître. Il est en effet l'héritier de la tradition proudhonienne et mutuelliste, qui se méfie autant de l'ingérence de l'État que de celle du privé à but lucratif. C'est ainsi que la France s'était dotée après-guerre d'instruments juridiques d'une grande efficacité, articulant le droit privé et le droit public. Songez aux établissements publics industriels et commerciaux qui furent le creuset juridique de nos champions industriels, car ils jouissaient d'une grande autonomie de gestion pour réaliser une mission d'intérêt général fixé par l'État. La sécurité sociale a été conçue en France sur ce même modèle, à la différence du système étatisé des Britanniques. On a interdit à l'État de se servir dans ses caisses pour se financer. Si l'État avait respecté cet interdit fondateur, notamment en prenant à sa charge les dégrèvements de cotisation qu'il distribue généreusement, les comptes de la sécurité sociale seraient en excédent depuis 2019. Mais durant le dernier quinquennat il a pris l'habitude de l'enfreindre ; une partie de la note des Gilets jaunes a ainsi été payée par la sécurité sociale, et il en sera de même de l'extension de la «prime Macron» destinée à compenser la baisse du pouvoir d'achat. On la prive de ressources à des fins politiques, et ensuite on dit qu'il n'y a pas « d'argent magique » pour payer les infirmières…

Quand on parle des prélèvements obligatoires, il faudrait donc en toute rigueur ne pas confondre ce qui relève des missions de l'État et ce qui relève des mécanismes de solidarité institués par la sécurité sociale entre générations, entre malades et bien portants, ou entre ménages chargés ou non d'enfants. Cela nous éviterait peut-être les numéros de cabaret de ceux qui prétendent avoir trouvé la pierre philosophale permettant d'augmenter le pouvoir d'achat sans augmenter les salaires : il suffirait de supprimer les cotisations sociales sans augmenter les impôts ! Omettant de prévenir les heureux bénéficiaires de ce tour de passe-passe qu'ils devraient ensuite payer au prix fort une assurance santé privée et souscrire un fonds de pension exposé aux cours de la Bourse. Bien mauvaise affaire lorsqu'on sait que les coûts de gestion de cette assurance privée sont aujourd'hui cinq fois supérieurs à ceux de la sécurité sociale pour une couverture moindre ! Cela ne veut pas dire que le fonctionnement de la sécurité sociale soit parfait ni qu'il ne faille pas lutter contre les abus et les fraudes dont elle est l'objet : ceux des assurés sociaux, mais aussi ceux – dont les médias parlent beaucoup moins - de certains médecins ou de grandes firmes pharmaceutiques…

Aujourd'hui, on a l'impression que tout ce qui est fourni en échange des prélèvements obligatoires ne fonctionne plus : on va réduire les retraites, les gens sont obligés de payer une école privée, l'hôpital ne fonctionne plus… N’est-ce pas la double peine quelque part ?

En effet la dégradation des services publics est un fait d'évidence ; et leur disparition dans des zones dites «périphériques» précipite celles-ci dans un cercle vicieux de désertification: quel médecin voudra s'installer là où ne se trouvent plus ni école, ni poste, ni gare ? Votre question est ici encore parfaitement légitime et invite à un retour critique sur la façon dont la France a été gouvernée depuis trente ans par des responsables politiques et économiques de tout bord. Le rapport déjà cité de France stratégie est de ce point de vue très éclairant, lorsqu'il met en évidence le fait que la France consacre moins d'argent que ses voisins pour le fonctionnement de l'État et des services publics, mais davantage dans le domaine de la protection sociale et des crédits d'impôts.

De bonne foi ou par intérêt personnel, nos classes dirigeantes ont pensé que leur mission n'était plus de développer un projet politique propre à notre pays, mais de l'adapter aux contraintes de la globalisation. C'est ce qu'en Italie on nomme le transformisme, par opposition au réformisme. Telle est la voie empruntée par la gauche de gouvernement depuis 1983, et par les « élites économiques » depuis leur conversion à la financiarisation de l'économie et la création du Medef en 1998. Ce tournant majeur a entraîné la désindustrialisation du pays ainsi qu'une mutation complète de notre «République sociale». Son droit du travail et son droit fiscal visaient une distribution équitable des richesses entre le capital et le travail ; et elle était garante de systèmes de solidarité auxquels tous contribuaient selon leurs ressources et dont tous bénéficiaient selon leurs besoins.

Or elle est devenue un amortisseur social des dégâts de la globalisation. C'est ce qu'on a appelé la «politique d'accompagnement»: on ne remet pas en cause les choix politiques et économiques qui ont conduit au développement de la pauvreté et du chômage, au creusement des inégalités et à l'augmentation des revenus du capital au détriment de ceux du travail, mais on les «accompagne» de mesures visant contenir ces dégâts sociaux et faire taire les mécontents. Le but n'est plus d'assurer en amont une distribution plus juste entre les revenus des actionnaires et ceux des salariés, ou ceux des traders et ceux des infirmières, il est d'assurer en aval une redistribution minimale en direction des éclopés de la globalisation.

À partir de là, on passe d'un modèle de sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité à une protection sociale fondée sur la charité publique. M. Olivier Véran a du reste cherché en 2018 à faire inscrire ce changement terminologique dans la Constitution. Sous la présidence de M. Hollande, on a ainsi réservé aux familles les plus pauvres le bénéfice de certaines prestations en en privant toutes les autres, qui ont ainsi été les seules à payer le prix des économies réalisées. La solidarité entre ménages avec et sans enfants disparaît, tandis que ressurgit la logique caritative qui a précédé l'invention de l'État social. Redevenu charitable, l'État distribue des chèques, bientôt des bons alimentaires ou d'essence aux nécessiteux, plutôt que de rétablir la primauté des revenus du travail sur ceux de la rente, ou d'imposer aux multinationales et aux grandes fortunes de contribuer au financement des systèmes de solidarité dans les pays d'où elles tirent leurs profits.

Ainsi prise en tenaille entre la baisse de ses ressources et l'augmentation de ses bonnes œuvres la République sociale s'endette. Argument est alors pris de cette dette pour réduire encore davantage son périmètre à des missions charitables et privatiser les services publics. Après avoir fait appel à l'État pour éponger la faillite du système financier en 2008, c'est lui qu'on a déclaré « en faillite » pour justifier une accélération des « réformes structurelles » qui avaient conduit à l'implosion du système financier… Et l'on voit que l'endettement résultant du « quoi qu'il en coûte » face au Covid est déjà brandi pour appeler, non pas à la solidarité de ceux qui se sont considérablement enrichis durant cette épidémie, mais à de nouvelles réductions des services publics et du nombre de fonctionnaires.

Il est vrai que les services publics ne souffrent pas seulement de cet étranglement financier, mais aussi de la gouvernance par les nombres mise en place en 2001 à l'unanimité des partis de gouvernement par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). L'idée d'assimiler le pays à une entreprise était elle aussi déjà présente chez Lénine, qui entendait gérer l'URSS, non pas comme une «start-up nation», mais comme une immense usine électrique. Plaquant sur l'administration une vision du reste largement fantasmée du management privé, le «New public Management» est l'avatar du même contresens institutionnel. L'État n'est pas une entreprise et ne doit pas être géré comme elle ; il est le garant en dernier ressort du temps long de la vie humaine, au-delà de la succession des générations et au-delà bien sûr du temps court des marchés. On voit du reste cette fonction de garant en dernier ressort ressurgir à chaque grande crise financière, technologique, climatique ou sanitaire. C'est pourquoi indexer son administration sur la réalisation d'indicateurs de performance est absurde.

Comme l'observe André Grimaldi dans le cas de l'hôpital public, le «business plan» remplace alors le projet de santé. La gouvernance par les nombres est pilotée par une coûteuse nomenklatura de facture post-soviétique, qu'une décentralisation en trompe-l’œil répand dans toutes les administrations publiques, tandis que le gros de ses agents est poussé, comme déjà évoqué, à la dépression, au surmenage ou à la démission. La dernière trouvaille imaginée pour faire face à cette crise des vocations est de recruter des contractuels, beaucoup mieux payés que les agents statutaires, et de précipiter ainsi la dislocation des collectifs de travail. Une fonction publique compétente et désintéressée est la colonne vertébrale de l'État ; la défendre ce n'est pas défendre le statu quo, ni fermer les yeux sur les risques de sa dégénérescence corporative. Il s'agit plutôt de faire vivre et évoluer un type de relation de travail qui, à l'instar des idéaux des professions libérales, est ordonné sur le sens de la mission à accomplir et non sur un but lucratif.

Dans certains secteurs, le statut ainsi conçu est aussi un avantage comparatif pour le pays. Si je prends le cas de l'enseignement supérieur, les écarts de rémunération avec l'étranger sont considérables, mais ce qui demeure attractif c'est le statut, car c'est le statut et non le contrat qui est la condition d'une véritable liberté de l'enseignement et de la recherche. C'est pourquoi l'on voit encore tant de jeunes chercheurs, aux CV impressionnants, se présenter à des concours ouvrant à des emplois universitaires si faiblement rémunérés qu'ils ne permettent plus à leurs titulaires de se loger à Paris.

Jusqu'à un certain point, l'attractivité du statut permet de compenser la médiocrité du traitement. Mais au-delà de ce point, ce mauvais traitement finit par décourager les bons candidats, ce qui donne un argument pour contractualiser et précariser les emplois. Cette contractualisation est aussi devenue de règle pour le financement de la recherche, au détriment de la recherche fondamentale et avec les mêmes effets désastreux que la T2R à l'hôpital, notamment dans des domaines particulièrement exposés aux conflits d'intérêts, comme la biologie, le droit ou l'économie. La légitimité du statut dépend en effet d'un strict respect de sa déontologie. Imposée pour rompre avec la féodalité, la séparation du public et du privé est un mur porteur de la République. Permettre à ceux qui la servent de combiner les fonctions publiques et privées ne peut que saper ses fondements.

Vous dites que le traité de Maastricht a été un tournant dans le sentiment de dépossession politique. Aujourd'hui, on a une Assemblée nationale assez anti-Union européenne, que ce soit du côté de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen. Est-ce le fruit de cette frustration ?

Il faudrait s'accorder sur ce qu'on entend par pro et anti-européen. Pendant la guerre les résistants luttèrent contre les projets d'union européenne portés par Hitler et Mussolini, alors que les collaborateurs pensaient comme Marcel Déat qu'il fallait aller au-devant des vœux de l'Allemagne, car «en cette construction de l'Europe, elle n'est pas un tyran, mais un maître d'œuvre, qui guide, conseille, et même consulte les compagnons». Lors de la fondation de la Communauté européenne à la fin des années 50, on a vu s'opposer plusieurs visions de l'Europe: celle utopiste de Monnet, qui souhaitait son unification politique ; celle pragmatique de De Gaulle, qui défendait une Europe des coopérations entre nations demeurant souveraines ; ou celle pessimiste de Mendès France, qui déclara au Parlement que «L'abdication d'une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d'une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement “une politique“, au sens le plus large du mot, nationale et internationale».

Le dépérissement du politique ainsi redouté par Mendès France était en revanche le but explicitement visé par Friedrich Hayek, l'un des principaux théoriciens du néolibéralisme, qui dès 1939 appelait à constituer des fédérations interétatiques pour soustraire «l'ordre spontané du marché» aux foucades de la démocratie. C'est en tout cas cette vision qui l'a emporté jusqu'à la crise du Covid-19, nonobstant les principes de démocratie politique et économique qui sont eux aussi proclamés en droit européen, notamment dans la Charte de Nice.

Nous devons à l'Allemagne la dénonciation la plus solidement argumentée de cette trahison par l'Union européenne de ses propres principes démocratiques. Plus précisément au Bundesverfassungsgericht lequel, contrairement à notre Conseil constitutionnel, est une juridiction digne de ce nom, formée de juristes qui doivent leur siège à leur compétence et non à la faveur du pouvoir politique. Dans sa décision de 2010 relative au Traité de Lisbonne, on trouve une définition lumineuse de la démocratie: c'est un régime où ceux qui ont le pouvoir doivent avoir peur de le perdre, et où peuvent se structurer une majorité et une opposition entre lesquels le peuple est régulièrement appelé à trancher. C'est tout bête, mais lourd de conséquences.

Le grand constitutionnaliste allemand Dieter Grimm, qui siégea dans cette Cour, a publié en 2016 un livre intitulé L'Europe, oui, mais laquelle ? Telle est en effet la question ! Dès la fin des années 1990, un autre savant allemand, Fritz Scharpf a mis en lumière l'asymétrie structurelle entre la capacité de l'Union européenne de défaire les solidarités nationales et son incapacité de construire des solidarités européennes. Il faudrait sortir de cette machine infernale, ce qui ne veut pas dire sortir de l'Union européenne. Celle-ci ne pourrait se défaire que dans le retour des fureurs nationalistes, comme en son temps la Yougoslavie. Non, il faut l'amener à observer les principes démocratiques qu'elle proclame ! L'UE ne retrouvera son crédit et sa légitimité que dans la mesure où elle assure la primauté du pouvoir politique sur les puissances économiques et s'affirme comme une Europe de la coopération plutôt que de la compétition. Une Europe qui s'appuie sur la riche diversité de ses langues et de ses cultures, au lieu de s'employer à les araser ou les uniformiser. Une Europe des projets, œuvrant à la solidarité continentale et internationale pour répondre aux défis — sociaux, écologiques, technologiques — qu'aucun de ses membres ne peut relever isolément.

Vous avez parlé de dépossession économique, démocratique, n'y a-t-il pas aussi un sentiment de dépossession culturelle ? Est-ce que dans la mondialisation, les deux questions ne sont pas éminemment liées ?

Elles le sont à l'évidence et c'est pourquoi, du point de vue de l'histoire des institutions, on s'égarerait en isolant les facettes physique, sociale, culturelle, politique, ou économique de l'insécurité. Les «petits rois qui vendent leurs sujets aux princes de l'Europe», que stigmatisait déjà Montesquieu au début du XVIIIe siècle, précipitèrent les victimes de la traite négrière dans une totale dépossession d'eux-mêmes. Forme particulièrement monstrueuse de ce que Simone Weil a nommé le déracinement, ce «commerce triangulaire» continue de peser sur l'histoire de l'Amérique, mais aussi sur celle des États africains et de leurs relations avec l'Europe. Il a effet instauré, comme l'a montré l'historien sénégalais Ibrahima Thioub, «un divorce durable entre ces États adossés à une économie de pillage d'une part et les populations paysannes désarmées et exclues du pouvoir d'autre part». Et que dire des «Indiens», que l'extension de l'espace-système américain, a dépossédé non seulement de leurs terres et de leurs cultures, mais même de leur nom, suivant une dynamique d'arasement des civilisations dont le savant japonais Osamu Nishitani a montré, dans son récent livre sur L'impérialisme de la liberté, qu'elle est toujours à l'œuvre à l'échelle du globe !

Ce ne sont pas les repliements identitaires qui nous préserveront de ce rouleau compresseur de la globalisation, car ils sont inévitablement porteurs de violence. Il faudrait plutôt opposer à la globalisation, le projet d'une mondialisation fondée sur la coopération entre des peuples riches de leur diversité. C'est de cette approche dont l'Union européenne devrait être l'avant-garde. Mais ceci supposerait de pouvoir se reconnaître dans des dirigeants capables de prendre appui sur le meilleur de leurs traditions culturelles pour inventer le monde de demain. Or le moins qu'on puisse dire est que ce n'est pas le chemin emprunté par les classes dirigeantes françaises qui, contrairement à leurs homologues anglaises ou allemandes, semblent avoir perdu toute confiance, si ce n'est toute conscience de la culture dont elles sont les héritières. L'actuel président de la République n'a-t-il pas déclaré lors de sa première campagne électorale qu' «il n'y a pas de culture française» ?

Ce renoncement est particulièrement manifeste s'agissant de l'usage de la langue, essentiel aux « assemblées de paroles » dont Marcel Détienne a montré qu'elles sont le cœur de la démocratie. À l'échelon de l'Union européenne un monopole de fait est aujourd'hui conféré à la langue du Brexit, alors même qu'aucun des États membres n'a désigné l'anglais comme première langue officielle, pas même Malte (qui a choisi le maltais) ou l'Irlande (l'irlandais). Ses responsables ne s'expriment plus que dans une langue que la grande majorité des présumés citoyens européens ne maîtrisent pas, sorte de «langue sacrée» (mon savant collègue orientaliste Jean-Noël Robert dirait une «hiéroglossie») qui les sépare et les distingue du vulgaire.

Appliqué aussi à la libre circulation des marchandises, ce régime linguistique peut conduire à des drames, comme ce fut le cas en 2004 ou 2005 à l'hôpital d'Épinal, où des malades furent tués ou mutilés par des appareils d'irradiation dont le mode d'emploi n'était disponible qu'en anglais, langue que les opérateurs pensaient maîtriser mais qu'ils avaient comprise de travers. En France, cette servitude culturelle volontaire sévit partout, sur toutes les enseignes commerciales et même dans les services publics. Si vous entrez dans un bureau de poste, là où on en trouve encore, vous êtes accueillis par un panneau « Ma French Bank », géniale trouvaille de communicants formés je suppose dans des écoles de commerce !

Le globish est un outil commode pour une communication superficielle, mais très insuffisant dès lors qu'il s'agit de bien se comprendre et de comprendre l'Europe ou le monde. La conversion au tout anglais est un moindre mal dans les sciences de la nature, qui ont affaire partout aux mêmes objets. Mais dans le cas des sciences de la culture, elle évoque irrésistiblement les médecins de Molière, le basic english ne donnant pas plus que le bas latin les clés d'intelligibilité des civilisations ; de l'Allemagne, du Japon ou du monde arabe... Aujourd'hui, on demande à un candidat à l'Institut universitaire de France qui travaille sur la France de rédiger son projet en anglais, lui signifiant ainsi d'entrée de jeu qu'il sera jugé par des « pairs » ne lisant pas une ligne de français et incapables de prendre connaissance de ses publications antérieures. On ne peut pas dire que cette allégeance culturelle contribue à une hausse du niveau ! Elle illustre plutôt ce que, dans un essai aussi mordant que mélancolique sur l'intelligentsia française, le grand historien Perry Anderson, avait nommé au début des années 2000 la «dégringolade».

Comment cette intelligentsia asservie au modèle américain peut-elle dès lors s'étonner que les jeunes Français d'origine africaine fassent de même, et se pensent à l'image des descendants d'esclaves, soumis jusqu'en 1964 aux lois raciales américaines ? Ces lois de Jim Crow, dont s'inspirèrent les juristes allemands en charge de la rédaction des lois de Nuremberg ! Le déracinement est plus généralement le fruit de l'idéologie contractualiste, qui tend à pulvériser les sociétés en une collection de monades indifférenciées, animées chacune par le seul calcul de son intérêt. Cette vision est explicitement celle du président Macron, qui en 2017 avait solennellement fait part au Parlement réuni en Congrès à Versailles, de son intention de faire de la France une «République contractuelle».

De fait, il s'est employé depuis à casser méthodiquement tous les statuts à sa portée: ceux des cheminots, des salariés, des préfets, des diplomates, etc. Mais il ne faut pas lui jeter spécialement la pierre car il n'est que le dernier avatar d'une longue tradition intellectuelle, qui identifie le progrès des sociétés à leur contractualisation. Montesquieu est je crois bien, avec son contemporain italien Vico, le seul philosophe des Lumières à n'avoir pas cédé à cette illusion. Dans ses Lettres persanes, Montesquieu juge ridicules ces spéculations sur l'origine contractuelle des sociétés, tant il est évident que le premier lien social est la filiation, dont l'anthropologie a depuis éclairé la grande variété des structures.

Vouloir contractualiser toute espèce de lien social conduit donc sans surprise à un processus de désaffiliation généralisé, auquel les enfants des quartiers pauvres sont particulièrement exposés. C'est en effet dans ces quartiers, selon les statistiques de l'Insee, que l'augmentation régulière du nombre de mères isolées est la plus sensible. La démission ou la disqualification des pères est peut-être une bonne nouvelle pour les militantes en lutte contre le patriarcat… C'est sûrement une mauvaise pour ces mères, qui sont aussi celles que le détricotage du statut salarial soumet à la «flexibilisation» du temps de travail.

Elles doivent élever seules avec de faibles salaires des enfants projetés dans une jungle urbaine n'offrant pas d'autres repères culturels que la consommation, le chacun pour soi et la violence. Tous les juges des enfants le savent: la délinquance est le prix à payer pour cette déstabilisation économique et culturelle des fonctions éducatives de la famille. On doit rendre hommage à celles de ces mères qui, en grand nombre, parviennent à élever convenablement leurs enfants dans de telles conditions. C'est à elles que l'on doit de voir tant de jeunes issus de l'immigration combler les rangs désertés des «travailleurs essentiels», travailler dur pour de petits salaires dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration, de la répurgation et du nettoyage, du bâtiment et des travaux publics, de la santé et de l'aide aux personnes âgées…

Sans parler de ceux à qui les plateformes refusent même ce statut de salarié, mais qui n'en pédalent pas moins d'arrache-pied pour livrer des pizzas. Il y a aussi ceux qui sombrent dans la violence et la délinquance. Les uns comme les autres doivent être jugés pour ce qu'ils font, et non être assignés – en violation de nos principes les plus élémentaires — à leur identité chromatique ou leurs origines.

(Suite de l'entretien dans l'article 2...)

 

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28 juillet 2022 4 28 /07 /juillet /2022 16:07

 

(Suite de l'entretien avec Alain Supiot...)

Cette vision contractualiste ne s'étend-elle pas aussi à la vision de la vie, de la famille ?

Bien sûr. En son temps, Laurence Parisot, alors présidente du Medef, donnait l'exemple de la précarisation du lien conjugal pour justifier celle du contrat de travail ! Dans une vision marchande de la société, il n'y a que des particules contractantes mues par leurs calculs d'utilité, qu'il s'agisse de «marché du travail», de «marché électoral», de «marché des idées» ou de «marché matrimonial».

Dès 1932, Ernst Jünger annonçait que l'un des idéaux d'un monde qui vise à transformer ainsi toutes les relations possibles en relations contractuelles résiliables serait «atteint avec beaucoup de logique lorsque l'individu peut même résilier son caractère sexuel, le déterminer ou le changer, par une simple inscription sur le registre de l'état civil». La déconstruction de l'état civil et de l'état professionnel des personnes sont les deux faces d'une même dynamique du capitalisme.

Comment réconcilier les élites et les gens ordinaires ?

En faisant vivre les deux composantes, économique et politique, de la démocratie ! Il faudrait ramener les plus riches sur terre, en suivant les sages conseils de Montesquieu de réduction d'inégalités économiques redevenues extravagantes. Il faudrait aussi donner à tous ceux qui travaillent les moyens de peser sur ce qu'ils font et la manière dont ils le font. Les personnels de santé sont mieux placés pour penser l'organisation de l'hôpital que les cabinets conseils payés à prix d'or pour leur expliquer comment travailler. Il y a une forte demande en ce sens chez de nombreux jeunes qui ne rêvent pas d'être milliardaires, mais de faire œuvre utile. Frances Haugen, cadre supérieure chez Facebook, a illustré cette aspiration, en choisissant d'alerter sur des algorithmes nocifs pour la santé mentale plutôt que d'y poursuivre une carrière rémunératrice.

Pour réconcilier les classes dirigeantes et les gens ordinaires, il faudrait aussi restaurer le débat politique, que le néolibéralisme dégrade en exercice de communication ou de propagande auprès de peuples présumés ignorant les principes d'une saine gestion technique. Cette conception est l'avatar contemporain de l'idée léniniste d'une avant-garde éclairée guidant les masses inconscientes des lois de l'histoire et de l'économie. Déjà Renan défendait «la légitime ambition de gouverner scientifiquement la société» et Engels annonçait le remplacement du gouvernement des hommes par l'administration des choses.

Mais sous un tel «gouvernement scientifique», la fonction politique disparaît ; ce qui reste, c'est la pédagogie et les punitions: vous êtes face à des ignares, donc il faut leur expliquer comment ça marche et mettre au pas les fortes têtes. La difficulté est que les gens ordinaires constatent tous les jours que cette avant-garde s'est trompée sur tout depuis 40 ans: sur les bienfaits supposés de la déréglementation financière, sur la convergence économique européenne promise dans la zone euro, sur la réorganisation de l'économie en chaînes internationales de production aussi fragiles que polluantes, sur l'assimilation des États à des entreprises, appelées à cultiver leur «avantage comparatif» plutôt que d'assurer à leur jeunesse les moyens de vivre décemment de leur travail sans être contraint à l'émigration...

Avec un tel bilan, il est difficile de convaincre les gens ! On cherche donc à les dresser à obéir sans se poser de questions. Tel fut en URSS l'objet de la «justice en blouse blanche», qui voyait en tout esprit critique un esprit malade à soigner ; et tel est aujourd'hui l'objet de l'économie comportementale, promue depuis 2015 par la Banque Mondiale dans un rapport dont je ne sais si on doit en rire ou en pleurer. Il commence par célébrer les dernières découvertes (il est vrai sensationnelles !) de la science économique : les êtres humains ne sont pas toujours rationnels ! Ils ont des habitudes, une histoire, une culture !

Tout cela représente une «taxe cognitive», qui empêche les pauvres de bien calculer leur intérêt. Heureusement l'économie comportementale est là pour les soulager de cette taxe et les amener en douceur à se conformer aux attentes du système (sans mettre bien sûr en question la justice de ce système…). On ne va pas rendre la vaccination obligatoire pour les personnes à risques, mais on va les emm…, leur « pourrir la vie », si elles ne se vaccinent pas. D'où l'attirail comportementaliste aujourd'hui en vogue, avec les «nudges» au niveau individuel, la « compliance » dans les entreprises, les « mécanismes automatiques » de la gouvernance de la zone euro, sans parler du «crédit social» à la chinoise, réalisation la plus grandiose de ce nouveau régime normatif. Le formalisme juridique, qui fixe des cadres dans lesquels vous exercez votre liberté, est incompatible avec cette «gouvernance scientifique» qui traite les humains comme des êtres programmables, ce qu'ils ne sont pas et ne seront jamais.

En exergue de votre nouvel essai, La Justice au travail, on peut lire cette phrase: «La justice sociale n'est pas un supplément d'âme pour les idéalistes au bon cœur, mais un gage de stabilité pour des politiques réalistes». Vous soulignez que l'histoire nous enseigne que l'injustice, lorsqu'elle dépasse certaines bornes, engendre inévitablement la violence et menace la paix. Allons-nous vers une forte instabilité politique et sociale faute de justice ? Doit-on s'attendre à de nouveaux mouvements du type Gilets jaunes ?

Le Droit n'est pas une science exacte, mais son étude autorise certaines prévisions. Il est ainsi prévisible qu'un ordre juridique dont la norme fondamentale est la mise en compétition de tous contre tous conduise au creusement des inégalités et à la fragmentation de la société en tribus régies par des liens d'allégeance des faibles aux forts. Et l'histoire montre qu'un pouvoir qui laisse ainsi prospérer durablement trop d'injustices s'expose inévitablement à la violence. Dans un premier temps les gens peuvent se résigner : si on vous traite comme un ordinateur, vous faites le job, même s'il est absurde, et puis c'est la dépression nerveuse, ou bien le je-m'en-foutisme ou la triche.

Comme jadis dans les usines soviétiques, les ingénieurs Volkswagen sont parvenus à trouver des trucs pour donner l'illusion d'avoir atteint des objectifs en réalité inatteignables. Mais il y a des moments où ça bascule dans la révolte. Le juriste Francis Bacon, qui fut aussi l'un des pères des sciences expérimentales, a donné en 1625 une explication imagée de ce risque dans le chapitre de ses Essais de morale et de politique consacré aux « troubles et séditions » : l'argent, explique-t-il, est comme le fumier, utile lorsqu'on veille à le répandre ; mais si on le laisse s'entasser entre les mains de quelques-uns, il empeste et la révolte gronde ! La difficulté est qu'il n'existe pas de définition scientifique de la justice. Croire le contraire est la marque des pensées totalitaires selon lesquelles la lutte des classes, la lutte des races, ou la concurrence pure et parfaite seraient automatiquement productrices de justice.

La force des démocraties confrontées à la montée des totalitarismes a été d'inventer des dispositifs qui font de la justice sociale le produit de remises en cause permanentes. Au plan politique par la tenue régulière d'élections qui tranchent le débat entre une majorité et des oppositions. Et au plan économique avec les libertés collectives instituées par l'État social : liberté syndicale, droit de grève, négociation collective ; représentation des salariés dans l'entreprise, qui font des antagonismes sociaux le moteur d'une transformation permanente du Droit. Mais cette démocratie politique et économique s'exerçant dans des cadres juridiques nationaux a été anesthésiée par l'ouverture des frontières et la libre circulation des capitaux, qui assujettissent le pouvoir politique à un pouvoir économique échappant à toute contestation syndicale. D'où des mouvements de révolte anomique, du type «gilets jaunes».

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11 juillet 2022 1 11 /07 /juillet /2022 14:03
Il en remet une couche...

Il y a juste un an, le 11 juillet 2021, je publiais à propos des « vaccins » Covid un papier sur LinkedIn : « Les pensées d’un récalcitrant… » (Pensées d’un récalcitrant… (LinkedIn le 11 juillet 2021) - Vous avez dit Ressources Humaines...?).

J’y dénonçais les choix aberrants de la politique sanitaire, comme l’absence de prévention, la décision de ne pas soigner ainsi que le recul démocratique décidé, avec la contribution active des medias. A l’époque, des impasses politiques furent faites, pourtant si éloignées de tout sens commun. Ainsi l’énormité de la recommandation faite aux médecins généralistes par le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), le 14 mars 2020, de « n’utiliser que le paracétamol à l’exclusion de tout autre médicament », ou la recommandation le 27 mars 2020 du Premier ministre, Edouard Philippe, dissuadant les patients de consulter leur médecin…

Aujourd’hui, je souhaite ajouter trois sujets sur lesquels nous devrions réfléchir :

  • On ne sait toujours rien de la composition de ces pseudo vaccins. Les institutions publiques, nationale comme européenne, n’ont pu l’obtenir de la part des laboratoires qui les produisent, alors même qu’elles ont accepté de se porter garantes financièrement des éventuelles conséquences sanitaires de ces pseudo vaccins. Cela ne s’est jamais vu.
  • La suprématie de l’expert qui suppose que celui qui n’est pas tout à fait d’accord avec lui commence son argumentation par : « Je ne suis pas spécialiste mais… », laissant entendre qu’il convient de s’excuser de n’être qu’un citoyen quelconque… Et bien non, mille fois non ! Un peu d’histoire devrait suffire à rappeler à ces accidentés de la mémoire que l’avis des citoyens est une protection contre les abus des experts. Cela s’appelle la Démocratie. Il faut en effet rappeler que le jeu démocratique est un jeu subtil qui exige la participation de tous (à l’inverse de ce qui a été fait dans la crise sanitaire : je veux parler de l’exclusion des médecins généralistes, des soignants, des patients et de tout intellectuel ayant quelque chose d’intéressant à dire).
  • La désinvolture avec laquelle l’imagerie de la politique sanitaire a été faite. Je songe à ces images et films incessamment diffusés depuis 2 ans, montrant les gens « injectés », leurs nasaux triturés, les Urgences assaillies comme si la Terre venait de s’écrouler alors que tout a été fait depuis des années pour mettre l’hôpital à l’os !  Une question ne cesse en effet de m’inquiéter : les responsables de ces énormités ont-ils seulement réfléchi aux conséquences psychologiques de ces images sur les populations vulnérables ? Car ces images, ces films ont été des moyens absolument minables pour faire adhérer la population à cette politique sanitaire alors même que le danger et la létalité que ce virus présentait n’avaient strictement rien à voir avec l’ampleur de ce qui était clamé tous les soirs.

Beaucoup de choses ont été dites sur ceux qui résistaient à cette politique sanitaire et à ses stupides injonctions (injections…). Que n’a-t-on entendu dont ceci : « On se souviendra longtemps de l’égoïsme des non-vaccinés… » C’est pourquoi il est peut-être temps de rappeler que ceux qui ont résisté ne l’ont pas fait par esprit de malveillance. Ils ont simplement appliqué la phrase d’Alain : « Penser, c’est dire non ». En procédant ainsi, face à la sidération de l’événement, ils ont forcé leur esprit à bouger : en s’étonnant, en observant, en cherchant, en parlant, en écoutant, parfois même en expérimentant (oui, l’Ivermectine, ça marche ! oui la vitamine D protège…) ; ils ont également beaucoup lu et, quelques fois, ils ont écrit… Bref, pendant deux ans, ces résistants ont réfléchi et ils ont travaillé. Ils ont compris bien avant les autres que les chiffres assénés ne disaient pas toute la réalité ainsi que cela a été écrit dans quelques livres sortis sous le manteau il y a quelques mois ; et comme commence à le dire la Presse mainstream, enfin… ! Ainsi, Le Figaro*, il y a 3 jours, faisait parler d’éminents spécialistes et autres épidémiologistes conspués pendant 2 ans sur les méfaits de la gestion de la crise, sur l’efficacité très réduite des pseudo vaccins, sur leur peu d’effets sur la transmission du virus, sur le coût exorbitant des tests, sur le fait que la moitié des patients hospitalisés avec Covid l’ont été, en fait, pour une autre pathologie, vraie cause de leur hospitalisation, sur les effets indésirables graves dont l’information commence à sortir, sur…

Çà et là, la réalité commence à apparaître : il faut lire le petit essai d’Abdennour Bidar paru récemment (Editions Les Liens qui Libèrent). Il faut lire « La doxa du Covid », qui contient une large contribution de nombreux chercheurs dans tous les domaines sur la crise depuis 2 ans (dirigée par Laurent Mucchielli et parue en mars 2022, Editions éolienne).

Dans La porte étroite, Gide dit ceci : « C’est faute d’attention que nous ne nous étonnons pas plus souvent. » Ne devrions-nous pas, dès lors, pour sortir de l’erreur, réfléchir sur les raisons de cette inattention générale suscitée par la peur ?

 

*Voir aussi l’article dans Le Figaro le 8 juillet 2022 : Recrudescence des contaminations : faut-il avoir peur du Covid ?

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21 juin 2022 2 21 /06 /juin /2022 09:53

Chers tous,

Je viens de faire une lecture éclairante.

Il s’agit d’un essai du philosophe Abdennour Bidar*, comportant dix réflexions sur les dangers que cette crise sanitaire a fait courir à la Démocratie.

A chacune de ces réflexions, comme tout bon philosophe, il part d’une question simple, examine ce que cette question suppose comme problèmes, puis ce qu’elle entraîne comme conséquences.

Ces questions portent sur nos libertés, sur l’égalité et la fraternité ; sur l’équilibre difficile entre liberté et sécurité, sur les risques que prennent nos Démocraties en supprimant le dialogue ; sur le rôle des medias et, enfin, sur les risques d’une Démocratie prêtant par trop le flanc aux techniques de contrôle des personnes. 

Chaque réflexion est étayée par des exemples concrets que chacun d’entre nous a vécus durant ces deux dernières années. C’est dire tout le recul que l’auteur de cet essai prend avec la gestion de la crise sanitaire et avec quelle adresse il atteint sa cible !

On peut même ajouter, à rebours du propos courant servi çà et là depuis deux années, que cet essai constitue une première en cela qu’il est édité par un grand éditeur et qu’il commence à être relayé par de grands medias (voir Le Monde du 14 juin 2022, Le Nouvel Obs 8/06/2022**). Je note que d’autres essais et études, non moins sérieuses, n’ont pas eu cette chance…***  

C’est la raison pour laquelle je me demande si, sur ce sujet, la parole n’est pas en train de se libérer… ?

A tous, bonne lecture !

Yves

PS : il faut une heure pour le lire…

 

*chez LLL (Les Liens qui Libèrent, 4,90 €)

**Covid : « Un silence assourdissant a remplacé le vacarme effroyable », « L’esprit critique a été laminé »

*** notamment La doxa du Covid de Laurent Mucchielli, étude très approfondie mais boudée par tous les medias « mainstream ».

 

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